Chapitre 20
Croacroa dans tous ses états
Certes les vautours l’avaient bien amoché, ah depuis le temps qu’ils en avaient envie et qu’on les en avait frustrés, pour une fois qu’ils avaient pu faire justice, ils s’en étaient donné à cœur joie : et une plume par ci, une plume par là, lentement arrachée et trois coups sur le bec et autant sur les pattes. Ah le vilain corbeau, il fallait l’entendre comme il piaillait quand on s’en prenait à lui. Lui, il avait tous les droits celui d’insulter, de manigancer, de crier dans les airs ses pestilences de maboule. C’était toujours de la faute des autres jamais de la sienne, aucune dignité ce volatile noir mais les vautours ils s’en fichaient. Ils étaient là pour ça. Ils lui rappelaient que lui il n’avait pas hésité à plumer les fauvettes, les mésanges, le serin et tout et tout et à répandre de la bile nauséabonde sur tout le monde et surtout sur les honnêtes gens, ceux qui n’avaient jamais eu le moindre problème avec la justice car lui évidemment il en avait toujours : condamné, il l’avait déjà été car il avait volé, tabassé, mis à mal toute sa famille et collaboré à des forfaits dont je ne vous dis pas l’horreur. Il était tellement fainéant que pour survivre ou bien il volait ou bien il envoyait l’ectoplasme-esclave voler, quatre souris crevées par ci quatre déchets par là ; il végétait en jouant les rentiers car il se disait rentier comme si un rentier ça ne vivait pas de copieuses rentes avec un avion à disposition au lieu de mouliner l’air de ses ailes déglinguées comme il le faisait. Il avait les rentes de 4 sous de ce qu’il avait volé ici et là et surtout à papa et mama, vous vous souvenez de la chanson. Quand vous entendez croasser méchamment au-dessus de vos nids, garez-vous, la pestilence Croacroa est dans les parages, garez vos petites graines, vos morceaux de gras et vos vermisseaux. Garez vos plumes. Il est là, il guette et il éructe comme à l’ordinaire ses sornettes qui ne font rire personne. Même Satan en a eu marre figurez-vous. C’était pas drôle que de se farcir Croacroa car il répétait comme un CD bloqué toujours les mêmes histoires. Vous savez : c’est pas moi c’est les autres, ils se vengent c’est la faute à…et c’est la mésange et c’est la fauvette et c’est le serin et la dinde et le héron et l’hirondelle, le martinet, le coucou, croacroacroa. Aucune imagination, mais alors l’ennui pour Satan, c’est qu’on ne crève pas en Enfer, non, on cuit à petit feu et quand on est presque consumé, yaouh, on renaît de ses cendres et ça recommence vitam eternam et nunc et semper. Alors vous imaginez, entendre Croacroa raconter toujours les mêmes sornettes même pour les démons de nième catégorie qui s’occupaient de sa broche et de ses côtelettes, la patience a une fin. Ils sont allés en délégation syndicale voir le Grand Maître de la cuisson pour se plaindre du travail insupportable qu’ils devaient effectuer tous les jours auprès de cet affreuse bestiole qui croassait sans arrêt et suintait des miasmes putrides qui les empêchaient de respirer même avec un masque à gaz, bientôt, à ce régime, ils seraient aussi morts que Croacroa. « Ah fit Satan le Rouge en tirant sur sa barbe de feu, ça pue vraiment dans cette antre, vous avez raison, c’est ce vilain Croacroa, Vaut Rien Malheureusement, car vraiment il ne vaut rien, même ici chez les démons, on en veut pas » et en pointant sa fourche vers le paria, il s’écria de sa voix de stentor à vous en réveiller les morts : « Foutez-moi ça dehors que ça aille polluer la Terre…mais gardez l’oeil sur lui car je veux le récupérer pour lui rappeler que les sbires de son espèce ça finit ici avec les recuits : ils sont tous là (des monstres), bref tous ceux qui lui ressemblent ya même Attila, mais eux, j’en suis enfin venu à bout car ils mijotent depuis longtemps, certains depuis des siècles, alors ils sont complètement rassis et …aux ordres. Celui-ci il faut vraiment que je lui asticote les côtelettes, mais en attendant, qu’il aille retrouver ses semblables où il va encore nous préparer quelque coup saumâtre selon ses habitudes et alors, Vlan, à la broche encore et encore…foi de Satan, je l’aurai…c’est la claque que j’préfère. Et Satan ne se trompait pas. Le Mal etait irrémédiablement dans la nature de Croacroa. Un pauvre petit coucou, et vous savez que les coucous ça prend les nids des autres quand ils sont vides, un coucou donc s’était installé dans le nid puant mais vide de feu Croacroa, il avait dû faire le ménage et il avait sué sang et eau tellement c’était dégueu, vous pensez bien, mais tout était maintenant propret et le gentil coucou enfilait ses trilles avec joie coucoucoucoucoucou…quand soudain, enfer et putréfaction, -c’est le cas de le dire- une horrible chose noire et croassante lui fondit dessus, lui arracha méchamment quelques plumes et voulut lui crever les yeux, sûr il l’aurait tué de ses méchants coups de bec si le Grand Choucas passant justement par là , alerté par les cuicui du pauvre pioupiou, n’avait pas foncé à grands coups d’aile pour le protéger. Colère de Croacroa. Colère ++++ du grand Choucas, un gros costaud qui lui mit trois coups de bec bien assénés sur la tête en lui tirant des touffes de plumes et lui fit ingurgiter trois graines de perlimpinpin qui le laissa gaga pour quelques heures, enfin vous me direz gaga, c’est comme gâteux, c’est son état habituel à Croacroa. Il était déjà gaga avant, alors après la cuisson prolongée chez Satan il ne lui restait plus grand-chose dans sa citrouille de malade mental. Comment, cette engeance est encore là s’étonnèrent les pauvres oiseaux de son voisinage, pourquoi Satan ne l’a-t-il pas gardé, on était si tranquille sans lui, on n’en veut pas de ce sale oiseau maudit, vous voyez , à peine arrivé il nous attaque et malheur à notre pauvre maison, les vautours auraient du le tuer ou le mettre chez les fêlés de la calebasse, là où est sa vraie place ? Le Grand docteur Choucas, un sage, conseilla le silence et la patience, il rappela que Croacroa était devenu ce qu’il avait toujours été, une créature de Satan et que celui-ci viendrait bientôt le reprendre pour sa fricassée habituelle. « Ah », firent tous les oiseaux, soulagés, sans exception, tous en chœur et pour une fois tous d’accord, oubliant leurs querelles intestines devant le danger revenu : la pie tchacheuse, le glabre, la bécasse, la corneille, les pies (sauf la pie voleuse qui avait besoin de lui pour ses sales besognes au flûtiau tous azimuts) et le serin et les mésanges et les fauvettes et le cormoran, la caille et la dinde dodue et le héron et même l’oie pour une fois pas à contre-temps laissant ses transferts de pois cassés et de lentilles, son nid dans les genévriers, (rien qu’à elle, na !) enfin tous contre un, comme les mousquetaires. Il n’y avait que le chien facteur, le toc-toc de la calebasse qui avait des doutes, dame fraternité de moeurs oblige, que faire mon dieu que faire, vous savez que pour penser le pauvre, i’sait même pas que ça existe la pensée ??? mais tous se serraient les abattis, profil bas car le danger était certain, la peste était de retour et le seul remède c’était Satan. Eh oui Satan le Grand Bronzé, alors au lieu de prier le Ciel comme d’hab devant l’énormité du danger la gente ailée se mit à prier …Satan afin qu’il vienne vite, vite le reprendre…
Sur l’air d’une chanson d’un dénommé Johnny qui s’y connaît…
Allumez le feu, viens vite Satan nous en débarrasser
Allumez le feu, on est en transe et on’camouffle
Allumez le feu avant qu’il nous ait tous zigouillés
Allumez le feu, Satan vite, on est tous à bout de souffle
Sur l’air bien connu de Zorro est arrivé
Satan est arrivé-éé, sans s’presser-éé
Le beau Satan ,
avec ses cornes et son épée,
Sur son cheval rouge sang
Ah oui, c’est vrai,
Satan est rouge et flamboyant !
Frayeur générale de la gent ailée, dame on ne rencontre pas Satan comme ça à chaque coin de ciel, c’est qu’il fait peur je vous jure ! Des flammes lui sortaient de la bouche et l’entouraient « chaudement ». On aurait entendu une mouche voler. Pas un cuicui pas un tilittilit pas un pioupiou. Le silence profond.
Alors fit le maître des Enfers, de sa voix de gorge a vous faire dresser les plumes sur le caillou, vous m’avez appelé, me voici, qui a fauté ?
« C’est pas nous, c’est lui, dit en tremblant le glabre qui en avait mouillé toutes ses plumes, oui c’est lui, le méchant, l’horrible, répétait-il la voix éteinte en montrant le tas endormi de Croacroa ».
Rire énoôôôô^rme et caverneux de Satan en caressant le crâne luisant du glabre qui hurla sous la brûlure : « Tu crois pelé que je me déplace pour rien…jamais ! ». Et Satan secoua Croacroa réveillé de ses vapes par la secousse fatale, horrifié, croassant d’une voix lugubre, en se voyant encore entre les griffes du Bouc qui le ramena sur son cheval brûlant et rouge, destination : la broche, vite fait bien fait. « Non, Satan, pitié, j’veux pas retourner à la broche piaillait le Vilain et Méchant Corbeau Croacroa, ça brûle trop », pour toute réponse le roi du steak minute lança à la cantonade : « Petits oignons ou cornichons ». Silence réprobateur des démons mineurs. « Ben, pourquoi il est revenu ce sale corbeau, nous on en veut pas…même aux petits oignons ». Et Satan en haussant les épaules. « C’est vot’boulot, mes chéris, il faut bien vous y faire, nous on fait dans la racaille…et pas de revendication salariale ou je vous embroche avec lui ! » Pouah ! firent les démons mineurs en chœur. Sale Métier !
Heureusement qu’il y en a pour le faire ce métier car qu’est-ce qu’on en ferait de cette saloperie de corbeau si Satan ne lui réservait pas la suite royale…se disait la gent ailée, médusée et traumatisée par les événements auxquels elle venait d’assister, et chacun de penser : « il vaut mieux être bon et généreux avec tout le monde, ne pas médire, ne pas mentir, ne pas faire de coups bas, ne pas trahir ses amis, ne pas être hypocrite… car on ne veut pas finir comme lui… ». Le glabre se caressait le crâne en sanglotant et chacun de le regarder avec commisération car la main de Satan y était imprimée en rouge sang ! Ca voulait dire quoi cette main rouge, se demandèrent en chœur les oiseaux ?
Ah ! Honni soit qui mal y pense.
Moralité
C’est une fable bien entendu et les fables c’est toujours moral, c’est pour inciter à faire le Bien, rien que le Bien, et ceux qui croient se reconnaître dans les personnages de cette fable font la preuve par 4 qu’ils leur ressemblent et qu’ils sont critiquables, très critiquables et qu’ils risquent de finir…à la broche. Laissons Croacroa mijoter...
Les Guignols